mercredi 14 août 2013

Fièvres 2/4

 

Cela avait commencé par un gros coup de fatigue auquel je n’avais pas voulu prêter attention. Peut-être était-il dû à trop de contrôles concentrés sur une courte période ? Mais ce n’était pas cela, les autres symptômes ont suivi assez vite : maux de tête, courbatures, fièvre…
Nous étions à la mi-octobre et cela pouvait passer pour un simple refroidissement ou un début de grippe, bien qu’il fût encore tôt dans la saison, mais j’étais du genre à attraper tout ce qui passait par là question virus, microbes et bactéries. Je traitais donc ceci par le mépris. Du moins pendant quelques jours.
Il arriva que je me trouve chez les Delenikas lors d’une visite du Dr Trébon. Il avait pris l’habitude, en buvant son café d’après consultation, de blaguer avec la bande de jeunes qui siégeait là en permanence, aussi nous parlions-nous assez familièrement. Il me fit la remarque que je n’avais pas l’air d’aller bien.
— Ne te laisses pas faire, La miche, il recrute des malades partout ! s’exclama Sophyia, dans un grand rire.
— Passe me voir, si tu veux qu’on en parle, ajouta le médecin.
C’est ainsi que commença une relation qui devait se prolonger pendant deux ans, faite de visites régulières tantôt à son cabinet, tantôt à mon domicile. Sans le savoir, il devint à cet instant notre nouveau médecin de famille, remplaçant le précédant qui était devenu vieux et routinier, moins attentif aux signes qui n’étaient pas suffisamment évidents.
J’allais le voir en consultation le lendemain après-midi. Nous discutâmes un quart d’heure, le temps pour lui de remplir une fiche avec mes antécédents médicaux et de mieux me cerner. Ensuite, il m’ausculta sans rien trouver d’inquiétant et me prescrivit un antibiotique à spectre large. C’était selon lui l’affaire d’une petite semaine. Pour me rassurer, il me lança une vieille blague de carabin : « Une grippe non soignée, c’est sept jours ; une que tu traites, c’est une semaine ! » Il me fit un arrêt pour le lycée correspondant à la durée du traitement en m’enjoignant de mettre cette période à profit pour un repos réel.
— Dans les jours qui viennent, je ne veux pas te croiser chez les Delenikas, insista-t-il.

Je suivis scrupuleusement les indications qui m’avaient été données, aussi étais-je sur pieds et repartis-je pour le lycée en pleine forme.
Deux jours plus tard, je fus pris de vertiges et manquais de m’effondrer en plein cours. Comme c’était la fin de l’après-midi, je refusais de me rendre à l’infirmerie car il n’y avait plus longtemps à attendre avant de rentrer chez moi.
Le chemin me sembla particulièrement long ce soir-là ! En plus des vertiges, je sentais une forte fièvre, des suées, des frissons… Le moindre mouvement m’était douloureux.
Rentré chez moi, je m’effondrais sur le lit. Ma mère me força à prendre ma température et fut horrifiée de constater que celle-ci était montée à 40°. Une heure plus tard, une seconde vérification nous laissa incrédules devant un 36,5° tout aussi inquiétant.
Appelé en renfort, le Dr Trébon me rendit visite après sa consultation. Il était vingt-deux heures. Entre-temps, j’avais réussi à me reposer et j’étais à nouveau en pleine forme.
Il prit le temps de m’ausculter consciencieusement. J’eus droit à la totale : palpations diverses, vérification des réflexes, investigations pulmonaires et cardiaques. Il semblait soucieux.
— La fièvre est montée d’un coup et redescendue aussi vite ? demandait-il pour la troisième fois.
— Oui. Tout allait bien, j’étais en cours. J’ai senti que j’avais mal à la tête et puis elle s’est mise à tourner, j’avais la sensation que j’allais tourner de l’œil…
— Et quand tu es rentré, la température est retombée aussi vite ?
— En tout cas, une heure après il n’y en avait plus et j’étais même en dessous de la normale.
Il me prit la tension, revint palper le foie. Je n’avais pas mal, cependant il était un fait que j’avais le ventre ballonné.
— Tu aimes le fromage de chèvre ? demanda-t-il soudain.
— Ah ! quelle horreur ! Je suis le seul de cette famille à ne pas toucher à ça… Mais, pourquoi ?
— Je pensais à quelque chose, mais je ne veux pas trop m’avancer. Vérifions d’abord, répondit-il d’une façon énigmatique qui ne lui ressemblait guère pour ce que je pensais savoir de lui.
Il me prescrivit un examen sanguin et me dit que nous nous reverrions dès que j’aurais les résultats, soit à son cabinet si j’étais en forme, soit ici même.
— Si tu te sens d’attaque pour le lycée, demain matin après la prise de sang, vas-y. Essaye de vivre normalement, nous verrons ce qui se passe. Si ça ne va pas, reste à la maison et je te ferai un certificat.

L’examen sanguin ne fut pas concluant. J’entrais dans un cycle infernal de fièvre ondulante accompagnée des symptômes déjà ressentis les jours précédents, auxquels s’ajoutaient désormais des douleurs testiculaires.
Tout correspondait, le diagnostic fut donc posé : fièvre de Malte.
— Je sais bien que c’est une maladie beaucoup plus rurale que citadine, qu’en outre tu n’aimes pas le fromage de chèvre qui est généralement le meilleur vecteur du virus, mais je suis à peu près certain que c’est ce que tu as.
Il m’interrogeât sur mes vacances, cherchant à savoir si j’avais été en contact avec vaches, moutons ou chèvres, ce qui était effectivement le cas. J’étais allé passer quelques jours à la campagne, chez des cousins éleveurs d’ovins, et j’aimais traîner dans les étables.
Le Dr Trébon me fit un cours tout à fait intéressant sur la Brucellose, dite également Mélitococcie ou plus familièrement fièvre de Malte.
Maladie infectieuse commune à l’homme et à certaines espèces animales (notamment bovins, caprins, porcins, ovins), elle est due à des microbes du genre Brucella. Son nom vient du fait qu’elle fut d’abord mise en lumière à Malte en 1863 lors d’une vaste contamination au sein de la garnison anglaise, grande consommatrice de lait de chèvr ; cependant elle est mondialement présente sous des formes diverses. Par exemple, le Sud-Est asiatique et l’Amérique latine sont davantage touchés par la forme porcine alors que l’Europe l’est essentiellement par les formes ovines, caprines et bovines.
Quelques cas sont répertoriés chaque année en France, essentiellement chez des éleveurs, des vétérinaires ou des personnes en contact direct avec des troupeaux.
Chez l’homme, la contamination peut être directe ou indirecte. Dans le premier cas, c’est la peau qui permet le passage du germe, même si elle ne présente pas de plaie ; dans le second, le germe pénètre à travers les muqueuses et notamment par la voie aérienne. Enfin, la voie digestive offre un boulevard à l’infection par le lait cru, les fromages non pasteurisés, la viande mal cuite, les crudités souillées…

Je me retrouvais sous Tétracycline pendant un mois, à laquelle s’ajoutèrent des piqûres de cortisone.
Il y avait des jours avec et des jours sans. Le repos complet était efficace mais dès que je m’agitais un peu la température remontait et s’offrait une partie de montagne russes. Les céphalées devenaient insupportables, je suais à grosses gouttes, et au plus fort de la fièvre je délirais.
Autour de moi, tout le monde paraissait démuni. D’autant plus que le laboratoire ne parvenait pas à confirmer le diagnostic. Si la numération de la formule sanguine montrait bien une diminution du nombre total de globules blancs, les hémocultures réalisées à partir de prélèvements effectués au plus fort des pics de température n’avaient toujours pas permis d’isoler le germe.
Il semblait que nous étions passés à côté d’une première alerte et que l’on était maintenant dans une phase plus aiguë. Le danger était qu’un foyer se déclenche au niveau du cœur, ce qui se révélait fatal dans 80 % des cas.
Mes parents s’inquiétaient et s’impatientaient. Cela faisait plus d’un mois que je n’allais plus en cours et la première partie du bac était pour la fin de l’année scolaire. Il fallait trouver une solution et la trouver vite.
Je ne sais pas qui leur a soufflé l’idée de l’hospitalisation. Elle est venue sur le tapis un soir où je me trouvais à nouveau en pleine crise, incapable de rester assis dans mon lit pour en discuter avec eux, épuisé et grelottant nerveusement.
Lorsque le Dr Trébon passa à la fin de sa consultation, comme il le faisait très régulièrement, il tenta d’expliquer que l’hospitalisation était inutile et risquait de se révéler contre-productive.
— À l’hôpital, il va rester couché, sans aucune activité. Le germe va se cacher dans un coin, comme chaque fois que votre fils se tient tranquille, et il se fera oublier jusqu’à ce que le patient reprenne une vie normale. Mais je comprends que vous vouliez tout tenter, je ne peux pas vous en empêcher…
Et c’est ainsi que je fus hospitalité dès le lendemain, un peu hagard parce qu’il me semblait que c’était un palier supplémentaire dans la maladie davantage qu’un nouveau pas vers la guérison.

Aucun commentaire: