vendredi 12 octobre 2012

Ethique du mensonge 6/6

VI

Aurélien a rangé le second cahier à sa place, puis il est allé se servir un verre de Gin-tonic avant de s’affaler sur le canapé. Il boit par petites gorgées, la tête ailleurs.
Cette rencontre de tout à l’heure et la plongée dans son journal qui l’a suivie l’ont passablement chamboulé. Il ressent un malaise rétrospectif. Cette histoire aurait pu très mal tourner pour lui, il en reste persuadé.
Pour y mettre fin, il avait dû changer de numéro de téléphone portable et s’abstenir de fréquenter l’usine pendant de longues semaines. Heureusement, ensuite un engagement était arrivé à point nommé pour le tenir loin de la ville pendant six mois.
Il avait oublié Geoffroy sans peine, ce dont il avait eu des difficultés à se défaire en revanche c’était d’un vague sentiment d’angoisse qui l’accompagnait dans ses plans de drague. Jusqu’à ce triste épisode, il n’avait jamais eu réellement conscience de la dangerosité des situations dans lesquelles il lui arrivait de se mettre. Jusqu’alors, il avait pensé que seules les rencontres SM pouvaient dégénérer, péchant en cela par excès de confiance.
Depuis qu’il est revenu en ville, il ne fréquente plus que rarement les lieux de rencontres extérieurs, leur préférant bars et saunas ; voire la drague sur Internet, bien que celle-ci soit trop souvent cantonnée au virtuel à son goût. 
Il achève son verre, se lève pour aller le déposer sur l’évier, dans la cuisine, puis il revient et cherche un CD dans le fouillis de la colonne où ceux-ci sont stockés. Il le trouve enfin et l’enclenche dans le lecteur. C’est le morceau de Victoria que Geoffroy chantait après qu’ils aient fait l’amour la première fois, sans se douter que c’était l’un de ses airs préférés. C’est sa sœur, choriste, qui le lui a fait découvrir il y a bien longtemps.
La pièce est plongée dans une pénombre relative, qui n’est combattue faiblement que par la lampe posée sur le secrétaire où il écrivait tout à l’heure.
Il se tient debout au centre de la pièce, regardant vaguement par la fenêtre. Dehors, la nuit est tombée. La musique est mélancolique, elle ne lui en colle que plus douloureusement à l’âme. Il sent des larmes venir, pourtant il n’est pas triste. Ce n’est que l’effet de la nuit qui s’ajoute à un sentiment de solitude. Un frisson lui parcourt l’échine.
Un bruit de clef dans la serrure, presque imperceptible par contraste avec celui de la porte qui claque aussitôt. Un sac de voyage s’écrase sur le plancher de l’entrée…
Il ne se retourne pas, déjà Cédric est collé contre son dos et l’enserre de ses bras puissants tout en picorant sa nuque de petits baisers tendres, avant de le faire pivoter pour se régaler de ses lèvres.
— Il était temps que je rentre, mon amour… dit-il en voyant les yeux embués d’Aurélien.
— Oui, cinq minutes plus tard et j’étais parti à l’aventure, répond celui-ci dans un rire joyeux.
Au fond, Geoffroy avait peut-être raison. Il y a bien une éthique du mensonge, celle qui consiste à faire croire à Cédric que le bonheur de son retour suffit à effacer l’angoisse de ses absences…

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